Jamais nous n'avons connu une telle profusion de textes d'articles et d'ouvrages; jamais nous n'avons connu autant de possibilités de participer à des colloques, des ateliers, des séminaires… Pour autant, il ne nous semble pas que cette mise à disposition des savoirs ait réellement démultiplié les possibilités de débats et d'échanges, et de production de connaissances. Jamais l'impression de ne plus comprendre n'a été aussi grande.
Il est sûrement temps de cesser la critique permanente pour entrer dans une contribution régulière. En ces temps d'incertitudes et de réelles violences, nous avons pensé utile et nécessaire de créer cet espace de réflexion, de confrontation des idées et de contributions : c'est-à-dire un espace qui s'inscrit dans un temps long, c'est-à-dire dans un temps politique, en explorant la possibilité d’une nouvelle praxéologie culturelle.
La seule voie qui nous est parue plausible fin 2012 a été de nous engager dans un espace de coopération, d’écoute et de respect de nos différences, de construction et de contribution.
Les membres de l’Institut de coopération pour la culture
Une nouvelle praxéologie reposant sur le décryptage et la traduction
L’Institut de coopération se propose d'être un espace de décryptage, de traduction et d'interprétation avec pour exigence de transmettre les résultats en termes d’enjeux et de propositions politiques. Dès le départ cela induit nécessairement de considérer la dimension européenne et internationale comme socle pour nos travaux.
C'est donc une invitation à prendre (ou à reprendre) la parole pour faire entendre une voix portant sur les pratiques afin de fabriquer de l'expérimenté. De nouvelles voies de réponse sont envisageables, non pas pour la défense d'intérêts de quelques-uns, mais pour le bien commun que représentent l'éducation, la culture ou la recherche. Il n'est donc pas ici question de réparation, mais bien de transformation.
Les principes directeurs
- L'Institut est un endroit où être membre a une signification : l'objectif n'est pas d'en accroître le nombre mais de proposer des situations réelles de travail à un nombre croissant de participants ;
- L’Institut est un projet à but non lucratif résolument centré sur le capital humain dont la seule finalité est de construire du commun, de la pensée commune et des territoires communs.
- L’Institut est un espace collectif où chacun vient avec son statut (et non pour un statut), avec ses expériences, ses doutes et ses certitudes, mais surtout avec ses questionnements.
- L’Institut s'organise au travers des contenus qu'il travaille et met en mouvement. Cela implique que L’Institut est un outil de production : une coopérative de production de la pensée. C'est donc à la fois un outil, un espace, un temps de mise en mouvement de la pensée critique, vigilante et créative ;
- L’Institut est un moment de mobilisation pour explorer les questions qui agitent aujourd'hui les acteurs institutionnels, professionnels et politiques. Cette exploration se situe dans un premier temps, dans un calendrier de trois ans jusqu'en 2014/2015.
- L’Institut est un espace intergénérationnel de compétences et de parcours différents.
Une mise en conversation et une mise en pensée
À force de ne pas mettre de mots sur ce qui est appelé la culture, les phénomènes de déséquilibre, d’inégalité, de discrimination et d'exclusion s'accentuent. Depuis plus d’un an, l’Institut alimente par ses séminaires et ses contributions un débat sur le positionnement de la question culturelle dans les politiques et dans les futures interventions publiques en sa faveur.
L’objectif est de démontrer la nécessité d'un investissement dans la culture, en dépassant les discours justificatifs s'appuyant sur quelques maîtres mots comme la compétitivité, l'attractivité et la cohésion sociale.
La question est alors posée : comment à partir d'expériences concrètes peut-on dégager des propositions de principes fondateurs d’une action publique en faveur de la culture ? Au-delà d'une approche tactique de recherche de financements, de quelles manières entrevoir de nouvelles modalités de coopérations et de nouvelles solidarités, y compris européennes ?
Tout ceci n'est qu'une tentative. Au regard de la crise que nous connaissons (qui va durer et qui n'est pas seulement économique), il paraît inenvisageable de ne pas tenter de construire des propositions nouvelles. Les discours incantatoires sur l'éducation, la culture et la recherche, sur le développement durable et les droits culturels n'ont pas suffi (et n'y suffiront pas) à répondre aux violences réelles et symboliques actuellement à l'œuvre au plan national, européen et international ; au plan social et intergénérationnel.
Une mise en pensée collective des expériences est aujourd'hui absolument nécessaire.
Les mutations
L’action publique en faveur de la culture est aujourd’hui profondément interrogée par les lourdes mutations dans lesquelles nos sociétés sont engagées et les importantes tensions qu’elles génèrent.
C’est en tout cas dans cette perspective que l’Institut de Coopération pour la Culture se veut être un espace ouvert de réflexion, de confrontation et de proposition sur les orientations, les objectifs et les modalités renouvelées d’une approche humaniste, laïque et d’intérêt public des questions culturelles.
Celles-ci seront d’abord explorées au travers du prisme particulier de la création artistique et de l’action culturelle, de l’éducation artistique et culturelle, ou encore des politiques publiques considérant ces dimensions comme essentielles pour le devenir tant personnel que collectif des humains.
À partir d’un travail d’objectivation et de comparaison d’expériences concrètes, la démarche participe ainsi à l’effort collectif, à l’œuvre dans de nombreux secteurs, visant à refonder pour les temps qui viennent ce qui devrait être valorisé comme bien commun, mais également ce qui tendrait vers un développement moins insoutenable, intolérant et inégalitaire que celui dans lequel se débat aujourd’hui la planète humaine toute entière.
Les défis
Pour l’Institut de Coopération pour la Culture, plusieurs défis contemporains sont alors à prendre en compte et à intégrer dans un horizon public et démocratique élargi de l’action publique en faveur de la culture :
- la simultanéité contradictoire d’une standardisation et d’une hétérogénéisation de nos systèmes de référence culturelle, entendus comme modes d’appréhension et de compréhension de notre rapport à nous-mêmes, aux autres et au monde et les modes d’action qui en découlent ;
- l’individualisation et la différenciation croissantes des parcours de construction de nos identités personnelles, au travers d’une pluralité d’appartenances collectives ou communautaires plus ou moins pérennes, qui génèrent autant une diversification émancipatrice que des discriminations et des inégalités plus fortes en termes de compétences symboliques maîtrisées par les individus ;
- le bouleversement actuel des modes de composition et d’échange de nos langages et de nos formes symboliques, entre autres au travers de la prégnance des industries culturelles et des nouvelles technologies, ces dernières amplifiant au-delà de la simple question des fréquentations, le développement de pratiques culturelles et en remodelant les modes de production, les fonctionnements et les usages ;
- la difficulté à se dégager des rigidités d’un passé marqué par une approche sectorielle, verticale et hiérarchique, tant en termes d’élaboration que de décision et d’administration, de modes d’organisation de la production et de l’échange culturels, même si des essais localisés d’approches plus transversales et interactives sont déjà perceptibles sur de nombreux territoires.
Question de référentiels
Face à ces risques qui peuvent être mortels s’ils ne sont pas assumés dans une prise en compte publique et démocratique renouvelée des questions culturelles, trois référentiels sont actuellement en présence. Ils se confrontent aujourd’hui au sein des politiques culturelles publiques, sans pour autant qu’aucun d’entre eux ne puisse prétendre fournir à lui seul la clé de voûte stabilisante d’une nouvelle façon non seulement de plus singulièrement vivre, mais aussi de mieux vivre ensemble :
- le référentiel historique de l’aide à la création professionnelle, où le thème du soutien à l’excellence artistique, scientifique et culturelle cherche perpétuellement à se compléter d’une visée d’accès du plus grand nombre à cette offre, de fait de plus en plus fournie et diversifiée ;
- le référentiel récent et substitutif de la réelle importance économique et industrielle des secteurs de la production et de la diffusion artistiques, culturelles et créatives, sous l’angle de l’apport en activité, en emploi, en valeur ajoutée monétarisée ou en attractivité des territoires à l’échelle européenne et internationale.
- le référentiel émergent qui met au centre de toute légitimité le droit de chaque personne à faire reconnaître sa propre identité culturelle (individuelle et communautaire) ou à construire son propre parcours d’identité culturelle, tout en restant en devoir d’altérité et d’hospitalité vis-à-vis des autres manifestations de l’expression et de la diversité culturelles.
En ce début de 21ème siècle, ces trois référentiels revendiquent chacun de pleinement participer à une société autant de développement personnel plus qualitatif que de développement collectif plus soutenable.
De nouvelles compétences
Dans ce contexte précisé et s’il fait aussi sien ce double objectif de développement, l’Institut de Coopération pour la Culture plaide d’abord pour une dynamique essentielle d’interculturalité, qui soit fondatrice et généralisée, en même temps que foncièrement évolutive et processuelle.
Pour le moins, nous sommes dans une époque où une des compétences majeures consiste à savoir construire et mettre en œuvre des agencements particuliers entre acteurs différenciés, porteurs de références culturelles non identiques, assez souvent également spécialisés dans des domaines spécifiques de connaissance et d’activité. S’en trouve induite la nécessité d’une nouvelle approche des compétences culturelles et des modes organisationnels qui soient pertinents pour le monde actuel, tissé d’interdépendance et de différenciation renforcées.
Chaque séminaire de l’Institut de Coopération pour la Culture explore une déclinaison particulière de cette problématique et cherche à repérer, à partir d’un cas concret étudié, des éléments transposables ou généralisables à d’autres situations. Des premières mises en perspective dégagées au fil des séminaires de l’année 2013 et dont les contributions issues de ces travaux sont disponibles sur internet, on peut par exemple souligner :
- la nécessaire prise en compte de la dimension dissensuelle – voire conflictuelle – d’une société de plus grande diversité culturelle, source potentielle autant de richesses nouvelles que de discriminations et d’inégalités inédites ;
- l’importance induite de l’expérimentation de nouveaux espaces et modalités de débat, négociation, délibération, décision, mise en œuvre, évaluation, nous aidant aussi à préciser les contours d’une laïcité culturelle propre à notre temps ;
- le rôle croissant et diversifié des communautés d’expérience et d’usage (professionnels, amateurs, profanes) dans les mécanismes de qualification et de valorisation des productions culturelles, dans l’élaboration des sociabilités contemporaines et plus largement dans la production du social dans son ensemble ;
- l’interdépendance accrue des acteurs individuels et des organisations, impliquant l’invention et l’articulation de modèles plus horizontaux et transversaux de mise en synergie et de coopération dans tous les domaines, dont celui des activités et pratiques artistiques ou culturelles, interrogeant par la même nos pratiques et nos compétences décisionnelles, professionnelles et démocratiques ;
- le besoin d’une prise en compte collective renforcée des risques importants toujours mis en jeu à l’origine de toute production artistique ou culturelle, tout autant que des effets structurels de hiérarchisation de l’économie culturelle et de concentration de l’essentiel des moyens disponibles au profit de quelques-uns seulement .
Une urgence à problématiser
Ce qui se dégage en tout cas des premiers repérages et analyses, c’est l’urgence d’une problématisation actualisée des rapports d’agencement réciproque – et pour une bonne part encore largement « bricolés » – entre l’artistique, le culturel, le social, le territorial et l’économique. Il en résulte une autre urgence, celle d’un pivotement stratégique des politiques publiques et des organisations à l’égard de la question ainsi renouvelée de l’art et de la culture dans notre société.